C’est arrivé et donc cela peut arriver à nouveau…
Le 27 janvier est la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste.
En ces temps sombres animé par la guerre de la Russie contre l’Ukraine, il est important de rappeler que les horreurs du passé durant la seconde guerre mondiale peuvent se répéter même 80 ans plus tard…
Le 25 janvier, j’ai eu l’honneur d’accueillir au Parlement, Monsieur Katznelson. Nous avons visité ensemble l’exposition Faces of Europe, exposition photographique dédiée aux femmes qui ont perdu la vie dans les camps de concentration de Ravensbrück durant la seconde guerre mondiale. Toutes ces femmes ont été privées de leurs rêves et de leurs vies. Comme Monsieur Katzenelson l’a si bien expliqué, c’est un devoir de mémoire de mettre des visages sur ces femmes pour mieux comprendre ce qui se cache derrière ces chiffres si effrayants et ainsi tenter de comprendre ce qu’il s’est passé.
Dans les camps, les nazis ont exterminé 6 millions de Juifs, a Ravenbrück, ils ont enfermé 122 000 femmes et enfants. Seulement 20 000 personnes ont survécu. Monsieur Katznelson, alors un jeune enfant malade à cette époque, était l’un d’entre eux…
Cette exposition permet de laisser notre regard rester sur le visage d’une de ces femmes et d’imaginer que cela pouvait être votre mère qui aurait pu être à Ravensbrück, le plus grand camp nazi pour femmes.
Le camp de Ravensbrück a été construit sur base de la haine que les nazis portaient à des êtres humains. Cette haine a conduit à une fin terrible parce que personne n’a agi contre cela.
« Rappelons-nous que des petits débuts peuvent mener à des fins terribles… »
Dans son témoignage émouvant, Monsieur Katznelson nous livre son message : « les mots et les actions discriminatoires en matière d’ethnicité, de foi, de sexualité et d’autres formes de discrimination à l’encontre de ceux qui pensent différemment n’appartiennent pas à ce monde ».
Je remercie Monsieur Katznelson pour son témoignage et le temps que nous avons passé ensemble.
Je veillerai à ce que son message traverse le temps et je veillerai à défendre les droits de ceux qui pense différemment et à protéger nos valeurs européennes pour que la haine envers autrui n’ait plus de place dans notre société.
Retrouvez les informations sur l’exposition via le lien suivant:
https://faces-of-europe.ravensbrueck.de
Vous trouverez l’integralité de son texte ci-dessous:
Mesdames et Messieurs,
Merci de me donner l’occasion de faire quelques remarques sur l’exposition Faces of Europe.
Lorsqu’on fait des recherches sur Internet pour en savoir plus sur l’Holocauste, le génocide, sur la Seconde Guerre Mondiale ou encore sur le camp de concentration de Ravensbrück on y trouve beaucoup de chiffre.
6 millions de Juifs tués, 70 à 85 millions de morts, principalement des civils. 122 000 femmes et enfants à Ravensbrück et seulement environ 20 000 survivants à la libération du camp de concentration.
Des chiffres, des chiffres, des chiffres. Les chiffres sont importants, mais nous et nos enfants, nous avons entendus ces chiffres si souvent que nous avons tendance à oublier que derrière les chiffres se cachent des êtres humains, des individus comme vous et moi. Des hommes et des femmes qui ont été privés de leurs rêves, de leurs vies et ce de la manière la plus brutale. Et pour ceux qui ont survécus aux atrocités, cicatrices, physiques et mentales les ont suivis pour le reste de leurs vies. Cicatrices qui dans de nombreux cas ont été hérités par leurs enfants et petits-enfants.
Par conséquent, cette exposition Faces of Europe, c’est plus qu’un simple nombre de photos sur carton avec des histoires courtes écrites dans un petit livre. Il met des visages sur quelques femmes du camp de concentration de Ravensbrück, seulement une infime partie des chiffres terrifiants dont nous entendons habituellement parler.
Les souvenirs de nos mères peuvent-ils être préservés uniquement par la mémoire des chiffres et des enregistrements statistiques ? Les atrocités commises par le régime nazi peuvent-elles vraiment être comprises en mentionnant des chiffres ? 6 millions, 122 000 ? Non. Ils ne peuvent pas. Nous devons mettre des visages sur des individuels, des êtres humains qui se cachent derrière ces chiffres pour comprendre au plus profond de nos cœurs ce qui est arrivé. Destins individuels de quelques-unes des femmes du camp de concentration de Ravensbrück.
C’est de cela qu’il s’agit dans cette exposition. C’est l’objet de cette exposition. Quand vous voyez cette exposition, quand vous en parlez avec votre conjoint, avec vos enfants ou petits-enfants – et c’est essentiel que vous le fassiez – essayez de vous concentrer sur une ou peut-être deux de ces femmes de cette exposition. Plongez vous dans le destin de telle ou telle femme et imaginez que c’est votre mère et qu’elle ai été à Ravensbrück, le plus grand camp nazi pour femmes.
Imaginez qu’elle ait survécu et ait été traumatisée pour le reste de sa vie et probablement que vous, en tant que son enfant, ayez grandi avec ce fardeau également sur vos épaules. Ou si vous vous concentrez sur l’une des femmes qui ont été tuées à Ravensbrück, vous êtes son petit-fils ou fille et vous devez porter le fardeau d’avoir une grand-mère qui a été tuée simplement parce qu’elle ne correspondait pas à ce qui était le concept de normalité du régime nazi.
Pensez à Marie Cordier de la France qui pour avoir aidé les prisonniers politiques et leurs familles et pour avoir recherché les disparus, elle fut torturée et envoyée à Ravensbrück. À la libération, elle a souffert plusieurs maladies.
Pensez à Mirella Stanzione d’Italie qui, à la suite d’une réunion secrète dans sa maison, à terminée à Ravensbrück et en avril 1945 a été forcée à la marche de la mort.
Pourquoi une partie importante de leur vie a-t-elle été ruinée ? Pourquoi devraient-elles être laissés avec des troubles mentaux pour le reste de leurs vies?
Ou pensez à Anna Burger d’Autriche. Une nuit noire et froid, la pauvre Anna a volé des couvertures pour ses enfants. Arrêté et tué à Ravensbrück à l’âge de trente ans à peine.
Ou Roza Kugelman, emprisonnée pour des raisons obscures et envoyée à Ravensbrück en décembre 1943 et brûlée dans les fours du crématorium.
Pourquoi leurs vies – si jeunes – devait-elle prendre fin? Et de cette manière?
Je vais maintenant parler d’une femme et d’un petit enfant – qui auraient pu être – mais ne sont pas montrés dans cette exposition. Elle et son fils de 2 ans ont été arrêtés parce qu’ils étaient juives et mis dans le Bunker, la prison de Ravensbrück.
Le fils est tombé gravement malade et a été séparé de sa mère. Pendant près de 7 semaines, elle n’a eu aucune nouvelle de lui. Où était-il? Quel genre de maladie avait-il? Était-il encore en vie? Gravement malade dans un camp de concentration était très probablement mortel. Un petit garcon privé de son mére.
Il était vivant et soudainement revenu vers elle dans la prison. Mais marqué par la faim et avec des blessures sur tout le corps et il a infectée sa mère avec ce qui semblait être de la diphtérie. Et tous les deux ont’étés amenés à l’infirmerie.
La mère était si malade qu’un prisonnier russe à l’infirmerie lui a dit qu’elle devait laisser son enfant. Laissez-le partir – ce qui serait probablement sa mort. Concentrez-vous sur prendre soin de vous même, dit-elle. Si jamais vous survis à cet enfer, vous pourras avoir un autre enfant. Un conseil difficile qu’elle n’a pas pu suivre.
Cependant, la mère s’est sentie soulagée lorsque le garçon lui a été enlevé. Ils ont été réunis 2 mois plus tard et ils ont été déportés tous les deux dans un autre camp, à Theresienstadt.
Après la guerre, la mère a été pendant de longues périodes dans un très mauvais état mental et pendant un an, elle a été malade de la tuberculose qu’elle a contractée dans le camp.
Il y a seulement trois ans – et 10 ans après le décès de la mère – plus ou moins par hasard, il est apparu que la française bien connu, Germaine Tillion – héroïnes de la résistance française – qui était également prisonnière à Ravensbrück déjà dans ses livres sur Ravensbrück avait un passage sur le petit garçon qui pendant 7 semaines, avait été enlevé de sa mère. Dans un des livres de Germaine Tillion, elle écrit
Et je cite du livre Déjeuners Chez Germaine Tillion:
« Je me souviens de quelque chose de très, très dur : Hilda m’avait donc installé dans un lit, au rez-dechaussée, en face du sien. Entre les deux lits, elle avait mis un petit bébé de deux ans et demi qui avait la diphtérie, un adorable petit garçon juif danois. Hilda veillait sur ce petit garçon qui l’appelait « Tante ». Chose étrange, on était arrivé à lui trouver ce qu’il pouvait manger. Il était beau, il marchait, un merveilleux petit garçon de deux ans et demi, tellement beau et gentil que le docteur Treite, qui était donc le super-patron SS de ce Revier, lui a un jour apporté une pomme. Une semaine plus tard, je vois encore le docteur Treite prenant avec beaucoup de douceur le petit garçon sur ses genoux et disant : « Il est guéri, on peut l’envoyer à Auschwitz » Ah!D’oú il n’est revenu! Voilà . Ce sont des choses littéralement incompréhensibles. Il a apporté une pomme à ce petit et puis il l’a envoyé à Auschwitz. Je vois toujours le geste avec lequel il a pris cet enfant pour l’asseoir sur son genou droit, j’étais à deux mètre de là. »
Le camp de concentration de Ravensbrück et tous les autres camps n’ont pas été construits avec des briques et du bois. Ils ont été construits avec des mots. Des mots de haine contre des êtres humains qui ne correspondaient pas à la définition nazie de comme qu’il fallait être ou se comporter.
Des mots de haine qui n’ont pas été contrôlés et qui ont conduit à une fin terrible parce que personne n’a dit stop. Rappelons-nous que de petits débuts peuvent mener à des fins vraiment terribles.
Les mots et les actions discriminatoires en matière d’ethnicité, de foi, de sexualité et d’autres formes de discrimination à l’encontre de ceux qui pensent différemment n’appartiennent pas à ce monde.
Pensez-y lorsque vous rencontrez d’autres personnes, lorsque vous discutez avec d’autres personnes ou lorsque vous les rencontrez sur les réseaux sociaux. Parlez-en à vos enfants et soyons clairs sur le fait que même aujourd’hui, 80 ans plus tard, des choses se répète – la guerre de la Russie contre l’Ukraine pour ne citer qu’un exemple – des choses que nous n’aurions jamais cru possibles après la période la plus noire du XXe siècle.
Souvenez-vous des mots de Primo Levy : “C’est arrivé et donc ça peut arriver à nouveau”.
Pour revenir encore une fois à Germaine Tillion, elle avait toujours pensé que l’adorable petite juive danoise avait péri à Auschwitz. Elle en a écrit dans pratiquement tous ses livres traitant de Ravensbrück.
Ce petit garçon dont la diphtérie a probablement été guérie par le prisonnier tchèque dr. Zedenka Nedvedova et qui, très probablement au tout dernier moment, a été sauvée de l’envoi à Auschwitz en le retirant rapidement de l’infirmerie était la prisonnière tchèque mentionnée, Hilda. Il a survécu.
Sa mère, a décédée en 2009. C’était ma mère.
Et l’adorable petit juif danois, c’est moi.
Ib Katznelson